Symphonie No. 7 en mi mineur «Chant de la nuit» (1904/05)

Première audition le 19 septembre 1908 à Prague sous la direction de Gustav Mahler

  1. Langsam - Allegro
  2. Nachtmusik I
  3. Scherzo
  4. Nachtmusik II
  5. Rondo: Finale

En été 1904 déjà, juste après avoir achevé la Sixième symphonie, Mahler commença à travailler sur la Septième. Il écrivait les deux Nachtmusik (musique de nuit) et les premières idées du Scherzo et du Finale, mais il avait des difficultés à trouver une idée musicale pour le premier mouvement ce qui ne me paraît pas très étonnant car après l'énorme fin tragique de la Sixième symphonie, il ne pouvait pas être facile de trouver la continuation menant à l'atmosphère totalement contraire de la Septième symphonie. L'été suivant, Mahler voulait achever la symphonie mais sa faculté de composition paraissait soudain disparue complètement de façon qu'il eût au point d'être dépressif car il craignait ne plus composer du tout. Un jour pourtant, lors d'une promenade en bateau sur le lac, tout d'un coup une idée pour le premier mouvement lui vint, et au cours de quatre semaines, il réussissait à achever la symphonie intégrale. En en-tête du manuscrit du premier mouvement se trouve le commentaire «Maiernigg, le 15 août 1905, Septième symphonie achevée». Il faudrait pourtant prendre en considération que les termes «début», «esquisse» et «achèvement» ne sont pas utilisés de façon uniforme dans la littérature Mahlérienne; «achèvement» d'habitude veut dire que le contenu musical est completé tandis que la partition intégrale souvent est écrit bien plus tard.

La première mondiale eut lieu le 19 septembre 1908 à Prague, c'est-à-dire après que Mahler eût quitté Vienne pour New York. Sur le programme du 10e concert philharmonique ayant lieu en l'honneur du 60e année de règne de l'empereur François Joseph ne figurait que cette œuvre. Otto Klemperer se souvient: «La Septième symphonie n'était pas un succès. Surtout le critique berlinois Leopold Schmidt polémisait contre cette œuvre qui aujourd'hui encore est bien problématique surtout dans la première et la dernière partie mais les trois mouvements centraux sont ravissants dans leur simplicité.» En octobre, une autre exécution eut lieu à Munich, «célébrée par le public avec des applaudissements frénétiques. Les journaux par contre ne montraient aucune indulgence pour les cacophonies bruyantes de Mahler. [...] Rudolf Louis, critique du Münchner Neuste Nachrichten, compositeur lui-même et antisémite manifeste, qualifiait la symphonie d'être un monstre d'incapacité et artificiel» (de la Grange/Weiß). Ainsi la Septième symphonie est souvent considérée comme un échec. Jusqu'il y a peu de temps, c'était l'œuvre de Mahler le plus rarement joué - bien injustement - dans les salles de concert, et le public l'acceptait avec de la réserve.

Quelle est la raison? On qualifie la Septième symphonie souvent d'être «encombrante»; certes, il n'est pas facile de l'aimer immédiatement, mais combien de fois dans la vie on aime davantage et plus profondément celui que l'on met plus longtemps à comprendre et apprécier! Il ne paraît pas y avoir des désaccords en ce qui concerne les trois mouvements centraux qui sont bien appréciés par tout le monde; les problèmes se posent dans le premier et le dernier mouvement. Comme déjà mentionné, il lui fallut bien longtemps avant que Mahler pût achever le premier mouvement. En adoptant mon point de vue que toutes les symphonies y inclus le Chant de la Terre sont un roman d'onze chapitres, la raison est bien simple car la fin de la Sixième symphonie est un point final tragique; il est plutôt difficile à continuer après cela, c'est pourquoi la Septième symphonie s'élève d'une manière secrète mais lente, laborieuse et pesante; juste comme un malade après une longue souffrance et un épuisement profond reprend doucement ses forces, la musique, mesure par mesure, se met en marche, petit à petit, la vitalité retourne. Ainsi, à mon opinion, le premier mouvement symbolise un nouveau départ.

Le deuxième problème qui possiblement se pose à l'auditeur, le mouvement final, consiste, selon l'opinion de Yasuhiko Mori, dans «l'absence de toute explication» fondamentale pour le brillant Final en ut majeur. La brusque explosion d'un glorieux chant de victoire semble totalement hors contexte dans cette œuvre: l'auditeur, désemparé, ne suit pas et reste étranger à une musique qui s'envole vers des hauteurs toujours plus grandes.»

Une raison extérieure pourrait sans doute être le fait que Mahler, au moment de la composition, se trouvait à l'apogée de sa carrière dans la direction de l'Opéra Viennois et en plus il avait finalement atteint une grande réputation de compositeur dans le monde entier. Une raison intérieure, à mon avis, est que la dépression morale qui avait été atteinte à la fin de la Sixième symphonie est définitivement surmontée dans le Finale de la Septième, et du plus profond intérieur de Mahler lui-même, un sentiment de grand bonheur s'impose extérieurement. Kralik le décrit ainsi en joignant la Septième à la Cinquième:

La Septième, du reste, s'oppose à la Cinquième dans une relation complémentaire. Là, dans la Cinquième, c'était le rassemblement des puissances vis-à-vis de l'aventure à venir. Ici, dans la Septième, c'est une parade joyeuse des puissances dans la certitude d'être sorti vainqueur de l'épreuve, comme si l'on avait traversé le feu et l'eau sans dommage. Et pendant que Mahler était si dépressif par sa Sixième symphonie, il pouvait recommander la Septième à un ami artiste d'être la musique la plus joyeuse qu'il n'eût jamais écrite.

Mori qui dans l'ensemble me paraît un peu perplexe vis-à-vis de la Septième symphonie pourtant écrivait ces phrases remarquables:

L'absence de contexte et la désintégration de la forme sont deux des principales caractéristiques de l'œuvre de Mahler et en même temps probablement sa force. La Septième Symphonie est sans aucun doute l'œuvre dans laquelle ces caractéristiques sont les plus évidentes et, par conséquent, elle peut être considérée comme la plus représentative des œuvres de Mahler. De ce point de vue, l'approche traditionnelle des autres symphonies semble manquer de substance et le trouble même que l'on peut ressentir à l'écoute de la Septième Symphonie est peut-être la clé du message de Mahler.

La structure de la symphonie est claire et symétrique; opposé à l'énorme premier mouvement qui néanmoins ne la domine pas se trouve le Finale brillant, au centre est le Scherzo encadré par deux «musiques de nuit» lyriques qui peut-être montrent le caractère de Mahler de son côté le plus aimable et le plus détendu.

Le 1er mouvement est d'abord prédominé par une atmosphère tragique comme celle que nous avions quitté dans la Sixième Symphonie. Le premier motif en mode mineur s'élève lentement, présenté par le cor, transmis par les instruments à vent en bois et renforcé par les trompettes mais bientôt se perdant. Doucement, un thème plus lyrique s'élève, se développe en rythme de marche conduisant l'auditeur au premier thème principal "con fuoco" toujours en mode mineur avant que les cordes mènent au deuxième thème principal, une douce mélodie en ut majeur qui déjà anticipe l'atmosphère de nuit romantique et optimiste dominant la symphonie jusqu'à la fin du quatrième mouvement, une impression qui ne peut probablement être partagée qu'après avoir écouté la symphonie plusieures fois; c'est tout de même signalé nettement par le solo du violon et l'attente soudaine de la musique, l'écoute silencieuse qui fait penser à l'intermède lyrique du troisième mouvement de la Troisième symphonie. Des trombones douces nous mènent en dehors de cette atmosphère sur un sommet de hauteur brillante. Dans une forme de sonate pas facile à reconnaître, les deux thèmes principaux se battent l'un contre l'autre afin de prédominer la scène, encadrés par des motifs à part ajoutés comme un collage dont les harmonies sont plutôt difficiles à apprécier d'abord par l'auditeur; le mouvement se termine néanmoins dans une balance optimiste des thèmes.

A première vue, probablement, la plupart des auditeurs aimera facilement le quatrième mouvement mais en vient peut-être aussitôt las tandis que la beauté tendre et austère du 2e mouvement se révèle vraisemblablement plus lentement afin de rester pourtant plus profondément et durablement. On se retrouve dans une scène de sons nocturne, introduite par appel et réponse des cors, où les voix et les bruits des êtres les plus différents se font entendre, des rythmes de marche, glockenspiel et cloches de troupeaux évoquent la présence de la nature et des animaux dans la nuit, une magie romantique et poétique domine l'atmosphère.

Le 3e mouvement, le Scherzo, est une pièce de musique inhabituelle et pourrait être appelé également «musique de nuit»; Mahler l'intitulait «schattenhaft» (comme des ombres) et c'est bien exactement ce que la composition représente, sinistre, démonique, grotesque; des ombres nocturnes, des lutins, des spectres dansent dans l'obscurité, des hallucinations et des cauchemars glissant rapidement à travers les sons, difficiles à percevoir, jamais saisibles. Seul un trio lyrique comme un conte de fées introduit par le hautbois interrompe cette fête de sorcières et nous enlève vers un autre monde de rêves.

Certes, le 4e mouvement, la «Nachtmusik II», est aussi connu et apprécié que l'Adagietto de la Cinquième symphonie; la guitare et la mandoline dont l'usage est inhabituel dans la musique classique, les harpes et les solos de violon, autant que le titre Andante amoroso indiquent clairement ce que cela doit représenter: Une sérénade pour la personne aimé. Pourtant je ne veux pas cacher qu'il y a des impressions allant beaucoup plus loin comme celle de Bruno Walter qui écrivait que «... le troisième mouvement du milieu est peut-être le morceau de musique le plus beau que Mahler n'ait jamais écrit: là-dedans vit un érotisme doux et tendre qui est le seul son érotique qui tant que je sache se trouve dans l'oeuvre de Mahler.» D'autre part, il y a des opinions totalement contraire comme par exemple celle de Yasuhiko Mori que ce mouvement «traduit une opposition de sentiments, à la fois affection et mépris, pour la musique jouée dans les cafés et sur les trottoirs de Vienne, [...]» Je ne peux pas du tout partager ce point de vue car dans ce mouvement, il y a une absence totale de toute ironie qui autrement se fait entendre assez souvent dans la musique de Mahler. Cette sérénade gracieuse et tendre ne tend en aucun cas vers l'exagération ou le kitsch. D'ailleurs, Blaukopf à juste titre fait remarquer qu'ici, Mahler anticipe le style de chambre symphonique établi par Arnold Schönberg, un des admirateurs les plus enthousiastes de Mahler, en 1906 avec sa Symphonie de Chambre.

Un roulement de timbales effectué avec virtuosité introduit le 5e mouvement, suivi par la citation souvent décrite des Meistersinger par l'admirateur de Wagner, Mahler, retentissant des trompettes pendant que le mouvement entier est dominé par les cuivres ainsi soulignant le caractère triomphant. Un tournant pareil, de la dépression la plus extrême à une humeur extrêmement joyeuse, n'est rien d'inhabituel dans la vie réelle: Après avoir traversé un état de misère, laissant enfin derrière soi un moment dépressif comme il en était le Finale de la Sixième symphonie, la gaieté et la joie peuvent facilement s'intensifier jusqu'à atteindre un sentiment de triomphe. Mais ici encore, quelques auditeurs ont d'autres impressions, et encore je cite Mori: «Le fantastique cri de victoire poussé par les cuivres sonne creux [...] S'agit-il d'une tentative infructueuse de création d'un Finale victorieux, ou bien est-ce l'amère constatation de la réalité: la victoire n'est rien d'autre qu'une illusion?»
Non, je ne suis pas d'accord avec lui, et les compositions suivant la Septième symphonie en plus prouvent le contraire: Le chagrin est vaincu, le triomphe est véritable!